Le gouvernement américain a mis fin au financement de la base de données CVE, pilier mondial de la cybersécurité, provoquant sa fermeture immédiate et laissant un vide critique dans la détection des vulnérabilités… pour faire marche arrière ensuite !
C’est un tournant inquiétant pour l’écosystème de la cybersécurité mondiale. Ce mercredi, la célèbre base de données CVE (Common Vulnerabilities and Exposures), référence universelle en matière d’identification des failles informatiques, s’éteint. En cause : la fin du contrat entre la MITRE Corporation, organisme à but non lucratif gestionnaire du projet, et la CISA, l’agence fédérale américaine chargée de la cybersécurité. Un non-renouvellement abrupt, inscrit dans une politique budgétaire restrictive menée par l’administration Trump, qui provoque l’interruption immédiate de cette infrastructure pourtant essentielle. Depuis 1999, le système CVE permettait une classification claire et standardisée des failles de sécurité. Sa disparition temporaire bouleverse le fonctionnement quotidien de milliers de professionnels à travers le monde.
Un tournant que Datasecuritybreach.fr avait mis en avant, en février et mars 2025. La Maison Blanche ayant mis une pression économique auprès de plusieurs structures dédiées à la cybersécurité, dont la CISA.
La scène se passe presque dans le silence. Pas de conférence de presse ni de communiqué tapageur. Pourtant, l’arrêt de la base de données CVE constitue l’un des événements les plus marquants de ces dernières années pour la cybersécurité internationale. Des millions de professionnels s’appuyaient sur cette base pour identifier, référencer et corriger les vulnérabilités affectant les logiciels, les systèmes d’exploitation ou les composants matériels. L’arrêt de sa mise à jour signifie que les vulnérabilités découvertes à partir d’aujourd’hui ne seront plus répertoriées de manière centralisée, unique et accessible à tous.
Depuis plus de deux décennies, le CVE a été l’épine dorsale de la coordination dans la réponse aux menaces. À l’origine, le projet avait été lancé pour mettre fin au chaos régnant dans les années 1990, où chaque entreprise utilisait ses propres référentiels, rendant les échanges sur les failles complexes et peu efficaces. Grâce au CVE, une faille se voyait attribuer un identifiant unique – une sorte de matricule – permettant à toutes les équipes de cybersécurité, quels que soient leurs outils ou leur pays, de parler le même langage.
« La fin du CVE n’est pas seulement symbolique, elle est structurelle : c’est la disparition d’un standard global sans équivalent immédiat. »
Mais le contrat entre la MITRE Corporation et le ministère de la Sécurité intérieure américain, via la CISA, prend fin ce mercredi, sans reconduction. Cette décision, confirmée par le gouvernement, s’inscrit dans une logique de réduction budgétaire engagée par l’exécutif, au détriment de certains outils considérés comme coûteux ou non prioritaires. Et c’est là que le bât blesse : le coût de fonctionnement du programme CVE, pourtant relativement modeste à l’échelle des budgets fédéraux, est jugé superflu dans le cadre de cette politique d’austérité numérique.
Ce choix soulève l’incompréhension chez de nombreux acteurs du secteur, tant publics que privés. Car si la base de données CVE était officiellement américaine, sa portée, elle, était universelle. Des centaines de chercheurs, de laboratoires, de grandes entreprises de cybersécurité, mais aussi d’organisations gouvernementales et non gouvernementales du monde entier y contribuaient. Le modèle collaboratif du CVE en faisait un bien commun numérique, sans équivalent dans sa structuration et sa portée.
La fermeture brutale du système a pris de court nombre de professionnels. Si les anciennes données restent disponibles via des archives sur GitHub, elles ne seront plus mises à jour tant qu’aucune solution alternative n’aura été trouvée. Et c’est bien là que se situe le danger : selon les chiffres récents, plus de 25 000 nouvelles vulnérabilités ont été enregistrées dans la base CVE rien qu’en 2023. Leur absence de référencement officiel risque d’entraver sérieusement les réponses coordonnées à venir.
L’impact pourrait être particulièrement sévère pour les petites et moyennes entreprises, ainsi que pour les institutions publiques ne disposant pas de moyens pour accéder à des services commerciaux de suivi de vulnérabilités. De nombreuses solutions logicielles de gestion des risques ou de patching automatisé s’appuient directement sur les identifiants CVE pour détecter et corriger les failles. Sans ces repères, les délais de réaction risquent de s’allonger, laissant la porte ouverte à des cyberattaques d’envergure.
« Sans CVE, chaque organisation devra réinventer sa propre méthode de suivi des failles, avec les risques d’erreurs et de lenteurs que cela implique. »
Dans l’urgence, plusieurs pistes sont envisagées pour pallier ce vide. Certains évoquent la création d’un consortium international qui prendrait en charge la continuité du projet, sur un modèle similaire à celui de l’ICANN pour la gouvernance des noms de domaine. D’autres misent sur une reprise du flambeau par des entreprises majeures du secteur, comme Google, Microsoft ou encore IBM, qui disposent des moyens techniques et humains pour maintenir une base à jour. Mais ces options posent aussi des questions éthiques et politiques. Une base gérée par une entreprise privée pourrait perdre sa neutralité, tandis qu’une gouvernance internationale impliquerait des négociations complexes, longues et souvent ralenties par des logiques géopolitiques divergentes.
Dans l’intervalle, certains acteurs, notamment européens, pourraient saisir l’opportunité pour développer une alternative ouverte et souveraine. La question d’une autonomie stratégique en cybersécurité est de plus en plus discutée sur le Vieux Continent, et la fin de la base CVE pourrait accélérer cette dynamique. Un projet européen, financé par des institutions comme l’ENISA ou la Commission européenne, aurait le mérite de réduire la dépendance aux infrastructures américaines et de redonner une impulsion aux politiques de cybersécurité européennes.
Mais rien de tout cela ne sera immédiat. La construction d’une base de données fiable, exhaustive et reconnue prend du temps. Il faudra recréer des réseaux de contributeurs, des protocoles d’évaluation et des processus d’attribution normalisés. En attendant, le secteur devra composer avec une zone grise, où l’identification et la diffusion des vulnérabilités se feront de manière fragmentée.
Certains experts alertent d’ailleurs sur le risque d’une recrudescence de failles non signalées ou mal documentées dans les semaines à venir. Dans ce contexte d’instabilité, les cybercriminels pourraient profiter de cette désorganisation pour exploiter des brèches non encore corrigées. Une situation que les gouvernements comme les entreprises redoutent particulièrement.
Alors que le numérique structure aujourd’hui tous les pans de notre société – santé, finance, énergie, transports – la cybersécurité n’a jamais été aussi stratégique. Or, l’arrêt d’un outil aussi fondamental que le CVE fragilise un édifice déjà sous pression constante. Cette décision marque aussi un signal politique inquiétant : la cybersécurité ne semble plus figurer parmi les priorités stratégiques immédiates des États-Unis, du moins dans sa dimension coopérative et ouverte.
Le CVE n’est pas qu’une base de données. Il est le socle invisible sur lequel repose la coordination mondiale en matière de sécurité informatique. Sa disparition, même temporaire, doit alerter sur la fragilité des infrastructures numériques essentielles lorsqu’elles dépendent d’un unique acteur public ou privé. C’est l’un des paradoxes de notre ère numérique : à l’heure où tout est interconnecté, les outils critiques reposent encore sur des fondations institutionnelles trop peu résilientes.
Alors que le monde cherche une solution de remplacement à la base CVE, une question persiste : la cybersécurité mondiale peut-elle continuer de reposer sur des initiatives isolées, ou est-il temps d’envisager une gouvernance réellement collective et pérenne de la sécurité numérique ?
Mise à jour : La CISA (Cybersecurity and Infrastructure Security Agency) a finalement prolongé mardi soir son contrat avec le programme CVE (Common Vulnerabilities and Exposures), géré par le MITRE.
Le programme CVE, utilisé depuis 25 ans pour identifier et cataloguer les failles de cybersécurité à l’échelle mondiale, risquait de perdre ses financements dès mercredi. Heureusement, un prolongement de 11 mois a été acté in extremis pour éviter une interruption des services critiques.
Cependant, des tensions apparaissent : une partie du conseil du programme CVE envisage de créer une nouvelle entité indépendante, la CVE Foundation, pour garantir la neutralité et la pérennité du programme, actuellement trop lié à un financement gouvernemental unique.
Ce rebondissement intervient alors que la CISA fait face à des réductions budgétaires, des résiliations de contrats et des critiques politiques, notamment sur son rôle durant les élections de 2020. La secrétaire à la Sécurité intérieure Kristi Noem souhaite une réduction de taille et de dépenses pour rendre l’agence « plus efficace et agile« .
Mise à jour : des rebondissements qui ont permis à l’Europe de sortir de la cave https://euvd.enisa.europa.eu/– au moment de cette mise à jour, le site attend de passer en … 2025 !