Comme n’importe quel autre secteur d’activité, l’écosystème du transport aérien est résolument engagée sur la piste du numérique. En devenant hyperconnectée, l’aviation moderne se donne les moyens de répondre à ses impératifs de développement. Mais elle se met aussi en danger face à de nouveaux risques de piratage. Le point de vue sur cette question de Tanguy de Coatpont, directeur général de Kaspersky Lab France.
Piratage informatique et l’aéronautique, un futur planant ? Le nombre a de quoi donner le tournis. En 2035, nous verrons passer au-dessus de nos têtes en Europe quelque 14,4 millions d’avions, contre 9,5 millions en 2012. Le secteur aérien doit ainsi faire face à un enjeu de taille : assurer sans faille son activité en croissance permanente.
A l’instar du domaine de l’énergie, c’est bien avec les solutions numériques à leur disposition que tous les acteurs du transport aérien pourront relever le défi qui leur incombe. Où l’ère de l’analogique, des communications VHF avec le sol, des commandes mécaniques des avions, est vouée à s’effacer au profit de la connectivité des outils numériques. Où ordinateurs, tablettes et traitements de données en temps réel ouvrent aussi la voie à une nouvelle façon de gérer au mieux le trafic aérien.
À l’échelle européenne, la transformation est lancée via le déploiement du programme SESAR. Du sol aux avions, ce système moderne repose, tout logiquement, sur l’utilisation d’outils numériques. Pour une gestion des vols harmonisée d’un pays à l’autre, et d’un avion communiquant à l’autre. Pour un trafic aérien toujours plus fiable, plus écologique et économique.
Le numérique dans l’aérien : l’aubaine et la menace
À l’échelle locale, les aéroports ne sont pas en reste. Un exemple : Londres-Gatwick en Angleterre détecte déjà, compile et analyse les données numériques issues de l’activité de toutes ses infrastructures. Et ce afin de faciliter la circulation des passagers et des avions, éviter les attentes et optimiser l’utilisation de l’unique piste du site.
A bord, le digital a également pris ses aises, depuis les systèmes de contrôle gérés par ordinateur pour des avions pensés par et pour le numérique, jusqu’aux centrales multimédia de divertissement des passagers, en passant par les nouveaux dispositifs de communication air-sol et l’optimisation du plan de vol en temps réel.
L’interconnexion des différents éléments de communication, du sol vers l’avion et vice-versa, a vocation à rendre le trafic aérien plus fluide et plus sûre. Et il le sera certainement ! Mais l’outil numérique, qui permet cette connectivité permanente, gage d’efficacité et de rapidité, est à la fois l’aubaine et la menace.
Pour les avions en particulier, on le reconnaît vraiment depuis 2015 : c’est exact, un avion peut être piraté ! Un tabou définitivement brisé par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA).
L’institution s’est appuyé pour ça sur les démonstrations de l’expert Hugo Teso. Ce chercheur espagnol a réussi à prendre la main sur le système ACARS d’un avion, système de messagerie qui permet de communiquer avec le sol. Le « bon » pirate, lui-même détenteur d’une licence de pilote, est aussi parvenu en quelques jours à pénétrer dans le système de contrôle d’un avion au sol. Dans sa trousse à outils : un smartphone et une application développée par ses soins.
Des pirates déjà actifs dans les aéroports
D’autres expérimentations d’intrusion ont eu lieu aussi outre-Atlantique, en vol notamment, via les boîtiers de gestion des services multimédia installés sous les sièges des passagers.
Au sol, on n’en est plus à la démonstration. Les pirates sont déjà entrés en action. L’un des cas les plus retentissants est cette intrusion réussie, en juin 2015, dans le système de gestion des vols de la LOT, compagnie aérienne polonaise. Résultat : 1400 passagers et 10 avions immobilisés sur le tarmac pendant plus de 5 heures.
Plus récemment, en septembre 2016, un groupe de pirates s’est attaqué à l’aéroport de Vienne. Ils ont échoué. Mais l’intention de nuire était bien là.
Ces deux attaques ne sont que quelques-uns des cas révélés au grand jour ! Car, à l’AESA, on ne s’en cache pas. Selon Luc Tytgat, son directeur de la gestion de la stratégie et de la sécurité, les systèmes de gestion du trafic aérien sont la cible de 1000 attaques par mois en moyenne.
Face à ce danger bien réel, les acteurs du secteur se mobilisent sur les moyens de prévention et de défense à appliquer. L’association internationale du transport aérien (IATA) par exemple propose depuis 2015 à ses membres, plus de 215 compagnies aériennes adhérentes, un kit des bons usages contre d’éventuelles cyberattaques.
L’instauration de standards de cybersécurité dans le secteur aérien
L’AESA de son côté a créé en février dernier le Centre européen pour la cybersécurité dans l’aviation (ECCSA). L’organisme est ouvert à tous les acteurs concernés, y compris les concurrents. Son but est de rassembler les idées et les efforts de chacun, selon le principe bien connu de « L’union fait la force« .
C’est aussi ce principe qui motive l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Cet organe des Nations unies a voté une première résolution en faveur de la cybersecurité aérienne en octobre 2016. Et elle en fait un sujet majeur dans son nouveau plan triennal 2017-2019 pour l’instauration notamment de standards de sécurité.
Cette mobilisation générale dans le secteur aérien traduit bien à la fois la prise de conscience du risque permanent de la cyberattaque et l’impérieuse nécessité, malgré tout, de suivre le rythme effréné de la mutation numérique d’un monde devenu interconnecté. Le cas de London City Airport est la parfaite illustration de cette dichotomie technologique.
Sa tour de contrôle sera virtuelle à l’horizon 2019. Les contrôleurs, déplacés à 130 kilomètres de l’aéroport, gèreront le trafic des pistes grâce à un réseau de caméras HD réparties sur l’ensemble du terrain d’aviation.
Pour couper court à toute inquiétude, Declan Collier, le directeur de l’aéroport, l’assure : « Nous utilisons le plus haut niveau de sécurité pour protéger notre système« . Oui, sans doute. A condition de ne pas oublier ce principe : ce qui vaut en cybersécurité aujourd’hui, ne vaut plus forcément demain. Dans l’aérien, comme ailleurs, la guerre contre ces cybercriminels est un combat sans fin, collectif.